photo : Olivier Baudoin
On a pris le taxi du check-point à Bel’In au dessus de Ramallah. Le chauffeur ne sait pas trop où il va donc il téléphone pour connaître la bonne route celle où il y a le moins de check point. Il demande aussi son chemin à des passants. Je ne suis pas contre d’éviter les check point aujourd’hui et puis on finira bien par arriver. On rejoint le comité de quartier, il ya des internationaux de l’ISM, du CCIPPP. Il y a un groupe de français, une majorité de musulmans, des filles et des garçons. On discute, ils sont originaires de Montpellier, Grand-Quevilly ou Roubaix. Les quatre coins de la France se retrouvent dans une pièce d’une maison de Bel’In. Nous devons assister à une manifestation pacifiste. Il y a des gamins qui nous disent Welcome et essayent de nous vendre des sacs et des bracelets brodés ou du thé et du café.
On va manger un falafel dans une échoppe en face. Tout est organisé pour le touriste militant. Il y a briefing. On n’y assiste pas. Emilie n’a plus son passeport. Perdre son identité en Israël juste avant une manifestation pacifiste n’est pas le meilleur endroit, ni le meilleur moment. Emilie fouille son sac, Olivier fouille son sac, je fouille son sac. On fouille la pièce où nous étions tout à l’heure, l’échoppe où on a mangé. RIEN. Forcément dans le taxi. Emilie téléphone. Ouf c’était bien dans le taxi. Le chauffeur nous le ramène tout à l’heure.
On nous donne rapidement les consignes : Ne pas jouer les héros
Il peut y voir des jets de bombes lacrymogènes de la part des soldats israéliens.
Ne pas courir
Ne pas frotter les yeux
Ne pas se mouiller le visage
Ne pas boire
Cela renforce l’irritation.
Faire très attention à leur trajectoire pour ne pas les recevoir sur la tête. Ça c’est dangereux.
Il est possible qu’il ai des tirs de balles en caoutchouc. Ce n’est pas mortel, cela fait juste mal.
S’il y a des arrestations et qu’il manque quelqu’un dans votre groupe, dîtes le immédiatement à l’organisateur afin d’envoyer un avocat. Si vous êtes arrêté, ne dîtes rien. Vous pouvez demander de l’eau, de la nourriture, à aller aux toilettes. Rien de plus.
Bon.
La manifestation se met en place, il y a environ 70-80 personnes Palestiniens et Internationaux confondus. Il y a la télé palestinienne. Les drapeaux sont levés, les slogans de paix et les chants sont comme une barrière de protection autour du groupe. Nous commençons à marcher. Je suis à l’arrière avec ma petite caméra. Je ne chante pas, je m’intéresse aux détails. J’ai comme une impression de passage obligé du tour operator du militantisme. Les gens se sont préparés : foulard autour du cou à rabattre sur la bouche et lunettes en cas de lacrymo.
Une excitation comme avant un carnaval. Quelque chose coince chez moi. Mais je ne peux pas m’empêcher de penser que ces actions doivent être menés. C’est mieux que rien. Je déteste cette expression.
Nous marchons, descendons, remontons environ 10 minutes. Les tracts en arabes sont jetes en l’air entre les drapeaux qui flottent. C’est une belle image.
Arrivés en haut d’une pente, on voit les barbelés du futur Mur. Les soldats sont postés une centaines de mètres devant. Ils tiennent la position. Les chants s’arrêtent, il y a une tension palpable. Le rythme de la marche décélère. Nous avançons d’un pas décidé mais tranquille.
Bruit, sifflement, trajectoire, fumée.
Nous sommes à 200-300 mètres des soldats. Nous n’avons rien fait à part marcher vers eux. La première bombe lacrymogène vient d’être tirer en tir direct et horizontal sur la foule.
La fumée est acre, pas le temps de penser.
2, 3, 4 je ne compte plus, cela fuse en tirs croisés des soldats visibles et d’autres que je n’avais pas vu sur notre droite. Là je ne peux m’empêcher de penser à une répétition en réel de leur exercice militaire appris dans un quelconque module de formation.
Les gens courent, c’est une réaction animale, normale. Moi aussi je cours.
Je suis dos aux soldats et j’essaie de suivre les trajectoires de ces putains de lacrymo.
Il y en a une qui atterrit à ma droite à une vingtaine de mètres, une autre devant moi à environ 10 mètres, c’est la première fois que je vois ces engins, c’est un cylindre d’environ 35 cm de long pour un diamètre dune quinzaine de cm. Ça ressemble à une grosse boîte de conserve. Ce que je ne savais pas c’est qu’une fois en contact avec le sol la boîte de conserve s’enflamme.
Là je prends conscience de ce qui peux arriver si quelqu’un, si je suis touché par cette merde.
Le vent est Israélien aujourd’hui et nous envoie la fumée brulante dans la gueule.
On recule, ça continu à tirer, ça ne s’arrête pas. Moi non plus je ne m’arrête pas. A côté de moi une française, elle est en sandales et accompagné d’un ami français lui aussi. Elle panique, court , s’essouffle, se frotte les yeux, boit, panique encore plus, crache, pleure. Lui ne sait pas quoi faire, il ne dit rien, ne la touche pas. Je le sens désemparé. J’ai aussi les yeux et la gorge qui brulent et le nez qui coule, comme tout le monde. Je m’approche d’eux, je leur redonne les consignes, je leur dit que tout a une fin. Ces mots que je me répète comme un talisman lorsque je sens que je perds la maitrise, agissent sur elle comme un calmant immédiat. Coup de bol, je ne sais pas ce que j’aurai pu dire ensuite.
Des amis disent de moi que j’ai des couilles, l’ami de cette femme me remercie, me dit que c’est formidable de rester calme et de gérer. Mais ce n’est pas vrai, je n’ai pas de couilles, je ne suis pas calme et je ne gère rien. Je suis morte de trouille. Je les laisse. Mes yeux pleurent, je sanglote, je ne sais pas si c’est les gaz ou la situation. L’impossibilité de dialogue ou réaliser que je crève de peur.
Emilie me rejoint. On pleure, on crache, on se mouche ensemble. On regarde les plus courageux avancer encore.
Des tirs, encore. Ils doivent avoir des stocks neufs, c’est pas possible. On voit les soldats derrière leurs boucliers qui brillent au soleil comme de petites étoiles.
On voit un groupe de jeunes militants internationaux bras-dessus bras dessous posés devant les tirs . Photo souvenir.
On continue à cracher, à tousser, pleurer.
Je vois un gamin palestinien se fabriquer une fronde et ramasser des pierres. Je pense : « Gamin, qu’est ce que tu vas faire avec tes cailloux face aux soldats robocop ? »
Je dis à Emilie : « Ce n’est pas bon ça donne le prétexte. »
De toute façon les tirs ne sont pas vraiment arrêtés.
La manifestation est terminée. Nous quittons l’endroit. On s’arrête acheter de l’eau. Il y a les jeunes français que l’on a croisé tout à l’heure. Emilie et Emilien prennent leurs témoignages, Olivier prend des photos. Moi, j’appelle ma famille. Je suis contente d’entendre leur voix, les préoccupations banales. Ils mangent une salade avec de l’avocat, des crevettes, des œufs et des tomates. A Nice, il fait chaud. Pendant quelques minutes je suis à table avec eux.
Je retourne vers mon groupe ; Un garçon de 24 ans de Roubaix fait son témoignage. Il parle de solidarité entre frères musulmans, que c’est son devoir en tant que musulman de venir manifester pour une Palestine libre. Emilien lui parle de lui, de son grand-père juif dont la famille a été déportée et assassinée en camps de concentration. Il parle de son mariage avec une musulmane. Mais s’il est là, c’est parce que la situation est une injustice et qu’en tant qu’humain on ne peut pas laisser faire ça.
Il dit ça et bien d’autres choses. Il a les mots justes qu’on peut entendre. Sa voix est déterminée et calme. Il est bien ce type !
Les jeunes écoutent, ça leur ouvre plusieurs pistes de réflexion.
On appelle le taxi, on rentre au comité de quartier où on rencontre brièvement l’organisateur de ces marches. On échange les coordonnées, on se recontacte.
Le taxi est là avec le passeport d’Emilie.
C’était une journée éprouvante, nous avons hâte de rentrer.
Jour 3 – Retour en taxi
Nous rentrons vers Bethléem. On échange des banalités avec e chauffeur. Deux minutes plus tard, check point routier. Les soldats demandent d’où on vient, le chauffeur répond Bel’In.
Aïe mauvaise réponse.
Il faut se garer sur le côté. On nous demande nos passeports. Le chauffeur nous suggère de dire que nous sommes amis et qu’il nous rend service. Pas d’argent entre nous.
Le soldat revient, il est jeune. 18 ans
« Qu’avez-vous fait à Bel’In ?
-On est allé manger.
-Vous avez fait des photos ?
-Bien sur des photos de nous on est en vacances .
-On nous rend nos passeports. »
Je les distribue. Dans celui d’Olivier, bien en évidence sa carte de presse. La bonne blague.
On continue notre route.
Le chauffeur nous dit qu’on se fait arrêter aux check point car il est arabes israélien. Les juifs israéliens ne se font pas arrêter. Believe me.
Le chauffeur nous raconte son histoire. Il a deux femmes, 9 enfants. La deuxième épouse est morte. Il a fait un crédit pour une maison qu’il n’a pas le droit d’habiter pour une question d’assurance ou quelque chose comme ça. Il paye un avocat et un ingénieur pour aller en justice. Il perd le procès qu’il lui a couté plusieurs dizaines de shekels.
En 2011, sa maison sera détruite ? C’est irrévocable, il a une lettre. Lorsqu’il nous la lit en arabe son timbre de voix change.
Il nous invite chez lui pour boire le thé et visiter sa maison inhabitable. On rencontre sa femme et de ses 9 enfants. Les gens ici sont accueillants. Quel chauffeur de taxi à Nice nous inviterai ainsi chez lui et discuter comme de vieux amis ?
Il a besoin de parler comme la plupart des personnes qu’on croise. On recueille son témoignage. Olivier prend une photo de lui et sa famille. On va faire développer le cliché et lui donner. On a son numéro. Il est tard. On rentre à Bethléem.
Lisie Philip