L’autre jour nous avons fait une improvisation autour du mur.
Lisie caresse le mur, lui parle, danse. Olivier prend des photos, Emilien filme. Nos filtres de protections que sont nos objectifs sont présents.
Moi je regarde Lisie mais je n’y arrive pas.
Je suis assise, contre lui et je regarde le camp de réfugiés en face de moi.
Lisie me rejoint, me parle, me pousse à réagir.
Je lui dis que ce mur est trop réel pour moi. Trop grand. Ce n’est pas un décor, c’est la réalité.
Pourtant en 2002 j’avais fait une improvisation, mais c’était avec Nicolas un comédien palestinien.
Ce jour là nous avions bien rigolé.
Enfin… A part la scène torride du coté des deux murs entre Nicolas et moi. Les palestiniens et les soldats nous regardaient avec des yeux ébahis. Toute la compagnie Al harah me connaît maintenant, super !!!
Mais aujourd’hui c’est différent…
Je commence à comprendre ma place ici. Ramener des témoignages en France, donner des détails que la France ne reçoit pas. Ca je peux le faire.
Mais cet événement, c’est compliqué, c’est nouveau.
Ce n’est pas qu’un mur qui sépare des êtres humains. C’est une séparation des âmes, une séparation de communication, une séparation d’artistes, une séparation d’identité, une séparation de palestiniens qui vivent à Jérusalem-est, une séparation de palestiniens qui vivent à Jenin, une séparation de palestiniens qui vivent dans un camp de réfugiés, une séparation de palestiniens qui vivent à Bethlehem, Naplouse, Tulkarem, Gaza, Qualkilia. Une séparation de palestiniens qui vivent en Israël.
Y’a une seule identité palestinienne ?
Non , c’est ça qui est terrible . Ils n’ont pas une identité même du coté international …
Aujourd’hui il n’ya plus d’attentats.
En 2002, lorsque j’étais en Palestine avec Emilien et Aurélie, lorsqu’une bombe pétait les palestiniens que nous rencontrions étaient dégoutés.
L’occupation met tous les palestiniens dans le même panier. Des poules dans une cage.
Ils ne sont pas dans cette violence là et pourtant ils subissent l’occupation. La politique interne dans le pays est écorchée.
Ils payent…
Je reviens donc à l’improvisation autour du mur.
Je me lève, je commence à arracher un bout de bois dans le mur, Il se casse.
Le béton détruit le bois. Le buldozzer détruit les oliviers….
Je prends des pierres et les lance par-dessus. Pour communiquer. Mais il y’a rien derrière. Je le sais…
« Le mur nous renvoie les pierres » dit Lisie.
La pierre, la poésie… Le mur, l’évènement …
Lisie me dit : « Derrière ce mur, vois les êtres humains comme tu vois le visage derrière l’uniforme du soldat ».
Moi ce mur, il n’est pas humain. Ce sont les « mains » d’un « hu main » qu’ils l’ont construit… Seul un « humain » peut le détruire.
Le mur ne communique pas.
Des soldats, même si la communication est complexe, tu peux leur parler. Ils sont manipulés. Ils sont jeunes, ils s’emmerdent au check point, ils ne sont pas polis.
Un mur tu ne peux pas lui parler.
Il est sur répondeur.
Ou plutôt il ne prend pas les messages.
Belle tactique militaire.
Nous discutons sur les difficultés techniques de ce projet.
Sur la forme du projet. Nous nous posons des questions.
Alors Comment transcender le mur ?
Comment place - t’on le symbole ?
Comment être le plus juste par rapport à cette situation ?
« Ce mur c’est pour faire disparaître le terrorisme »
« C’est le voile de la disparition »
« Empêcher la communication »
« La performance autour du mur est inutile, elle ne changera pas la situation, alors il faut trouver les partenaires qui seront intéressés par cet événement ».
Nous avançons petit à petit, essayant d’être le plus humble possible.
Ecoutons les artistes qui nous entourent. Le projet les intéresse mais il faut être le plus clair possible. Et bien sûr se retrouver pour construire un événement commun.
Ne pas faire qu’une performance « fast food » et rentrer tranquillement chez nous...
En attendant nous collectionnons des témoignages.
Pour les artistes, ici c’est important, que nous soyons leur bouche témoin.
Samedi 24 Juillet
Le sommeil s’accroche de plus en plus à nous. Le vin et l’ arrack nous fait chavirer dans un sommeil de plus en plus profond… Il est de plus en plus difficile de se lever, de poser nos pieds sur Bethlehem… Yannick me manque…
Ce matin nous allons prendre des photos de JR près du check point de Bethlehem.
Ca y’est, ça c’est fait…
Olivier et moi buvons un thé et un café au pied du mur en attendant Emilien.
Le chauffeur de taxi essaie de me marier avec l’homme qui nous sert les boissons. Il insiste.
La prochaine fois je dis que je suis mariée à Olivier ou Emilien.
(Promis Gaëlle et Siham, c’est juste pour couper la conversation !
Sinon je dis que je suis mariée aux deux mais là ça risque de faire naître d’autres discussions !)
Le chauffeur nous pose deux chaises sur un trottoir pour boire le thé et le café. Les fous rires nous accompagnent. C’est un moment simple que j’apprécie.
Des petits bonheurs …
Le chauffeur me dit :
“Are you hot? French girls are hot, are they not? » Nous rigolons.
A cet instant nous apercevons non loin, une jeune européenne en robe transparente qui passe pour aller au check point. C’est surréaliste!
Sa robe caressant l’air, laisse entrevoir sa jolie culotte blanche et son joli fessier. Je suis prise d’un fou rire. Les palestiniens ont la langue qui leur tombe aux genoux, c’est drôle… J’ai l’impression de voir Betty Boop et le loup la langue dégoulinante voulant se jeter sur elle…
Je tiens à préciser, je ne pleure pas tout le temps !!!!!!! Hi hi hi !!!
je ris aussi …
Je ris, je pleure, je vis, je meurs…
Nous sommes au camp de réfugiés d’Aida. Nous allons au centre Alrowwad , centre d’activité photos, sport, théâtre… Beaucoup de volontaires internationaux viennent faire des activités avec les enfants. Des ONG financent le centre depuis quelques années.
Nous croisons Abed, le directeur. Il va bien. Il était aux Etats unis avec ses enfants et son groupe de théâtre pour jouer sa pièce. Il a passé deux jours au check point de Jordanie avec ses deux enfants de 8 et 10 ans. Les israéliens sont en grève. Il y’a moins d’employés alors c’est plus long. Il ne peut pas passer par Tela Viv.
C’est un fils de réfugié… Il a la carte verte et a des difficultés pour aller à Jérusalem.
Sa femme, elle, a l’identité de Jérusalem, elle est enseignante de science à l’université. Ils ont deux maisons. Une à Doha à coté de Bethlehem où nous dormons. Ils en ont une autre à Jérusalem est vers le mont des oliviers. Ils louent.
C’est pour faciliter les déplacements de Nahil sa femme. Elle peut aller travailler et amener ses enfants à l’école. C’est compliqué tout ça , n’est ce pas ?
Comme je disais, Abed est le fils d’un réfugié.
Les israéliens ont expulsé sa famille de son village en 1948.
Nous lui parlons du projet. Il est séduit par le projet du chapiteau.
Abed n’appartient à aucun mouvement politique. Il dénonce l’hypocrisie des doits de l’homme. Je l’écoute…
« Quelles sont nos droits, il n’ya pas d’égalité, il n’ya pas de retour ».
Il nous retrace l’histoire d’avant 1948.
Ce n’est pas si simple…
Il nous raconte comment au début du siècle les chrétiens, les juifs et les musulmans vivaient ensemble. Comment la langue hébreu est apparue dans les écoles.
Certains juifs qui vivaient en Palestine ont quitté le pays. Il nous explique la politique d’Israël à vouloir diviser les chrétiens des musulmans palestiniens. Ca ne marche pas. Les palestiniens se tolèrent entre eux.
Nous parlons de « l’effet média » , ce que nous les occidentaux nous recevons comme information en France sur la question du conflit. Comment dans chaque rencontre en Europe ou ailleurs il faut un représentant de chaque coté. Comment les Etats unis gèrent leur intérêt face à Israël et pourquoi Israël est placé au milieu de tous les pays arabes. Deux puissances mondiales : Etas unis , Pays arabes. Quelle est la tactique politique ? Et l’Europe dans tout ça… ?
«Il n’ya pas d’égalité, nous sommes des enfants de réfugiés. Et le droit de retour vers nos villages ? Personne ne se pose cette question. »
Le camp d’Aida rassemble environ 27 villages de réfugiés. Ils n’ont pas choisi d’être devant ce mur. C’est compliqué. Je l’écoute , c’est sa vie c’est pas la mienne…
Abed, son combat politique c’est son centre. Il ne veut pas d’aide humanitaire. Il veut une justice. Il veut que les enfants témoignent, c’est sa lutte. Il a fait des études en France, en Angleterre, il a donné des cours de biologie à l’université. Il gagnait bien sa vie.
Ensuite pendant l’intifada,
l’armée rentrait dans le camp à la recherche de « terroristes ». Elle a détruit des maisons et des écoles. L’ONU construit, l’armée détruit, l’ONU construit, l’armée détruit…
Il a eu quelques aides financières pour son travail au centre.
Il est employé depuis mars il n’a eu qu’un seul salaire. Il rit.
Mais il ne se plaint pas. « C’est comme ça… »
Emilie Pirdas