Humains

Depuis mon arrivée, j’ai fait des photos. Réflexe ? Sûrement.

Je suis venu pour préparer un travail avec Sîn. Utilisant de la photo certes, mais c’est dans un an. Pourquoi je fais des photos maintenant ?


On a un blog à faire, les images c’est bien, mais j’y mets peu de photos, tout ce voyage pour cinq images ?


On doit faire des photos pour le Patriote, deux fois. Puis pour l’Huma à la fin.

C’est suffisant comme prétexte pour faire des photos.

Le rêve, me voila reporter international au Moyen Orient pour la presse.

Mais je m’en fous un peu.


Je suis venu ici pour que des images traversent le mur. Le premier mur est de convaincre Sîn. Je suis là pour ça, Sîn est sûrement convaincu. Pourtant mon sentiment est que ce n’est pas si sûr. Du moins pas de la même façon que moi.

Il faut que je rentre dans Sîn, comme ça on sera d’accord.


« Ici » (je ne sais pas comment nommer cet endroit), tout est profondément Humain.

J’ai la sensation que toute l’humanité est résumée « Ici ».

Je dis « Ici » car si tu dis Israël tu trahis les Arabes, ou les Palestiniens. Si tu dis Palestine, tu oublies les Arabes Israéliens Juifs et tu exclus les Juifs. Et puis certains Israéliens pense que la Palestine n’existe pas.


Toute la Foi est « Ici ». Les Hommes caressent les pierres, s’agenouillent, se prosternent, prient.

Chacun son rite, son costume, sa coutume, sa pierre ; son mur !


Jérusalem,

Au Mur des Lamentations, qui est séparé par une barrière « hommes/femmes » (comme aux toilettes) chacun y fait la même chose. Des humains-juifs parlent au Mur, d’autres, les yeux fermés, supplient. Des hommes avec costume noir et chapeau noir lisent la Tora toute la journée. On y utilise des petits papiers pour laisser des messages que l’on glisse entre deux pierres. Un service de nettoyage très efficace, passe toute la journée pour nettoyer les petits papiers tombés au sol. Je quitte les lieux et je mets ma Kipa dans ma poche, est-ce qu’avec ça sur la tête j’ai été juif quelques instants ?


Au Saint Sépulcre, les humains-catholiques, frottent des objets contre la pierre où fut déposé le corps du Christ après la crucifixion. Ils se prosternent. A part une orientation aléatoire, il est difficile de les distinguer des Musulmans. Puis font la queue pour apercevoir la tombe de Jésus. Là ils sont coincés entre le mur de la Chapelle du Tombeau et les barrières de la Police.

On ne passera pas le mur de la foule, on n’est pas assez croyants pour patienter.

Ce qui j’aime chez les Cathos, c’est qu’il y a quelques décolletés pigeonnants, c’est cool !


Pour accéder à l’esplanade des Mosquée, il faut chercher un accès au travers de petites ruelles. Au bout se trouve un barrage de l’Armée Israélienne qui t’explique d’emblée que c’est réservé aux Musulmans (comment sait-il que je ne le suis pas ? Ah oui je n’ai pas le costume). Emilien réussit à convaincre le soldat qu’il l’est. L’israélien le laisse passer. Derrière l’humain-soldat se trouve un humain-musulman. Là quelques questions précises et Emilien est recalé à l’examen, il ne passera pas. On ne passe pas le mur de l’Armée et de la Religion réunis.


Check Point de Bethlehem

L’image qui me reste, plus que le mur de 12 mètres de haut qui serpente à perte de vue, c’est l’images de ces jeunes filles vautrées au fond d’un fauteuil, dans une guérite blindée, avec un M16 sur le pubis, le tout assorti d’un regard méprisant.

Je dis bien les jeunes filles.

Les mecs sont au pire froid, des fois agressifs, au mieux sympas.

La chanson de Renaud « à part Mme Teatcher » prend un coup de vieux, il y a de plus en plus de Mme Teatcher chez les humains…

En Israël les humains-femmes font l’armée comme les humains-mecs. Ca les rends pas belles. Il ne s’agit pas d’esthétique, mais d’attitude, de regards, de commissure de lèvres. De M16 sur le pubis.


Quand on arrive dans la dernière nasse du check point, j’observe : on est en bas, les soldats en haut sur des passerelles. S’ils ouvrent le feu, il est impossible de leur échapper, chaque angle de chaque mur, est ouvert vers eux. Si tu te plaques contre un mur, les passerelles sont légèrement surplombantes pour pouvoir mitrailler en dessous. Si tous les tourniquets anti-retours se bloquent, tu crèves.


Murs,

C’est le quotidien d’un Palestinien. Il y a quelques jours, pour faire 50 m, ça nous a pris 2h30. On est resté 2h30 coincés entre des grilles, des passerelles, des tourniquets, des guérites blindées et des humains-pubis-M16.

J’ai hâte de retrouver le pubis de Gaëlle.


Ensuite on est allé participer à une manifestation d’humains-pacifistes, de protestation contre le mur à Bil’in.

Là le « mur » est en barbelés. Quand on s’est approchés on a reçu une salve des bombes lacrymogènes. Pas au ras du sol, en cloche du ciel. C’est dangereux, pas question d’en prendre une sur soi. Ensuite les humains-soldats chargent. Ca pique, je ne peux pas courir, je viens de me faire opérer du genou. Je suis le dernier. Je reste calme, je pense plus à mon asthme qu’aux soldats. Finalement les soldats ne m’atteignent pas et les lacrymos, ça dégage bien les bronches. Une jeune humain-femme (avec un pubis exempt de M16) me tend un oignon, elle me conseille de respirer à travers. C’est vachement plus doux que les gaz.


Le soir un humain-arabe-taxi nous ramène au check point de Bethlehem à 60 kms de Bil’in. Il vit à Jérusalem Est. Ici pas de mur, des colonies Israéliennes côtoient les habitations Arabes. Jérusalem a un statut particulier. Mais l’apartheid prend d’autres formes. Les salaires moyens par exemple : un Palestinien de Palestine gagne 1500 shekels par mois, un Palestinien de Jérusalem 3000, un Israélien 5000 n’importe où. 1 € = 4,7 Shekels. Autrement dit un Israélien gagne comme un français.

Mais le pire est le mur administratif. Adi (notre humain-arabe-taxi), habite Jérusalem Est, à quelques mètres d’une colonie Israélienne. Sa maison va être rasée (comme sa précédente, sa première femme est morte le lendemain du drame), il ne peux pas payer d’assurance, c’est trop cher (c’est les Israéliens qui fixent les tarifs), il a plusieurs recours (tous payants et très chers pour sa bourse), il les tente, il se ruine. Bientôt les bulldozers seront là.


La colonie humaine-israélienne est à quelques mètres, elle est pleine, il est nécessaire quelle s’agrandisse.


Tout ça est profondément humain.


Lisie est partie hier pour Manchester, elle a parlé (sans le savoir) à un humain-mossad sympa à l’aéroport et elle a été encadrée par deux humains-flics jusqu’à l’avion et ses bagages sont retenus à Francfort.

Elle n’a plus de culottes à se mettre sur le pubis. Elle trouvera sûrement en Angleterre quelques habits.


En écrivant ceci et en le publiant, je me prépare à recevoir le même humain-traitement.


Tout cela renforce ma conviction. Faire quelque chose ici, à une portée universelle. Depuis que je suis enfant j’entends parler d’Israël, de Palestine, de guerre de 6 jours (je suis né en 64), de Yasser Arafat, de Knesset, de Rabin … Ici il est plus encore urgent et important de traverser les humains-murs.


De traverser les humains.


Humain-Moïse, on va avoir besoin de tes conseils.

Je prie une Divinité.

Je deviens Humain.


Texte et photo : Olivier Baudoin


SMS de Lisie depuis Manchester


Plein 2 fouilles, encadrée par 2 agents dans l’aeroport. Avion retard 2h50min. me ss fait 1 copain ki m’a posé plein 2 questions. Il n’a pas pris l’avion. Ma valise est resté a franckfort. Il fé 15 degrés et il ya 1 tourniket anti retour ds la residence pour ma sécurité. Biz a vous take care.






Photo Olivier Baudoin

Criminels


21.07.10

A l’heure où je me mets à écrire, Lisie nous a quittés pour Manchester. On vient de recevoir un SMS de sa part : « La totale ! ». Elle fait allusion aux contrôles de sécurité qu’elle a subis à l’aéroport Ben Gorion de Tel Aviv. Nous en saurons plus demain quand nous l’aurons eue au téléphone. Merci à elle pour sa présence ces premiers jours, pour sa curiosité et son engagement dans le projet.

Ces trois derniers jours nous avons baroudé. Jenin, Jérusalem trois fois, Ramallah deux fois, Tel Aviv et bien-sur Bethléem où se trouve notre QG.

A Jenin, nous devions rencontrer Juliano Mer Khamis, le directeur du Théâtre de la Liberté établi dans le camp de réfugiés de la ville. C’est un homme à part sur ce territoire ciselé. Sa mère était juive israélienne et son père palestinien. Il est le réalisateur d’un film qui relate son aventure au côté de sa mère dans ce camp de réfugiés. Nous avons d’ailleurs pris l’habitude de diffuser ce film à la suite de nos représentations de « témoignages, compte rendu théâtral de séjours en Palestine ». Pour tout ceux qui travaillent artistiquement sur des territoires… disons sensibles, ce film est là pour nous rappeler que nos actes existent à l’intérieur d’une réalité crue souvent plus forte que toute nos tentatives pour la déjouer.

Par malchance, et bien qu’il nous ait conviés à venir, Juliano était absent. « Problèmes personnels » nous a-t-il fait savoir par SMS. C’est dommage, voire énervant, mais nous avons tout de même assisté à un filage d’une pièce de Khanafani jouée par les étudiants en théâtre de Jenin dirigés cette fois par un metteur en scène américain dont le nom m’échappe. Une expérience intéressante qui me renvoi à l’objectif de notre séjour ici : Poser les jalons de l’écriture d’une pièce alliant théâtre, danse et photographie et qui doit passer par la réalisation d’une performance aux abords du mur de séparation l’an prochain.

En rentrant de Jenin, nous nous sommes rendus une nouvelle fois dans le camp de réfugiés d’Aïda pour y faire quelques expériences dansée filmée contre le mur. Un chien crevé finissait sa putréfaction à dix mètres de nous. L’ambiance était lourde et puante et nos propositions dansées, filmées, jouées, bien peu de choses face au colosse de béton et à la puanteur de la mort. Rapidement, nos fesses par terre et nos dos contre le mur, nous entamons une longue discussion. Quel sera la place des artistes palestiniens dans cette performance ? La veille, Emilie et Lisie ont rencontré un groupe de jeunes danseurs : Diyar theater danse, dirigé par notre ami Mohamed Awwad, l’interprète de Gilgamesh dans la pièce que j’ai montée en 2004 avec des artistes français et palestiniens. Quels seront les publics de cette performance ? D’un côté du mur des palestiniens de Bethléem. Ça d’accord. Mais de l’autre côté ? Des activistes israéliens ? Le reste du monde (comme on dit au football) ? Qu’est-ce qui se jouera ? Qu’est-ce qui passera le mur et comment ? Autant dire qu’à notre retour les quelques périodes de résidences d’écriture programmées, mais difficiles à dégoter, ne seront pas de trop.

Dans l’après-midi, nous nous sommes rendus à Ramallah. La ville était noire de monde. A pied, en voiture, la circulation y est très difficile. Je me demande où était toute ces personnes en juin 2002, quand nous étions arrivés là pour la première fois et que les rues étaient vides à cause des couvres feux à répétitions et du siège du palais présidentiel où était enfermé Yasser Arafat.

Nous venons pour rencontrer le groupe de danseurs traditionnels El Funoun. Ils sont très intéressés par notre projet et souhaitent qu’on leur face des propositions précises à l’issue de notre première résidence d’écriture cet automne à l’Entrepont à Nice. Nous repartons enthousiastes avec dans la poche les billets d’entrée de leur prochaine représentation.

Ce matin, nous sommes partis pour Tel Aviv. Nous accompagnons Lisie pour son départ et avons donné rendez-vous à Omer. C’est un artiste israélien rencontré par Olivier sur Facebook. Il arrive accompagné de son épouse et une discussion d’à peu près trois heures s’engage. Nous souhaitions le rencontrer pour deux raisons. D’une part, pour son travail sur la vidéo captée et diffusée en temps réel. D’autre part, pour son témoignage entant qu’ancien soldat de l’occupation.

Il nous livre alors son histoire. Né en Israël, à 18 ans il est appelé pour effectuer son service militaire. Avec la complicité de ses parents, il met en place un scénario qui lui permettra d’être réformé et de constituer avec quelques uns de ses amis une communauté régie par un fonctionnement socialiste au sein d’un kibboutz. Lorsque ces amis sont à leur tour appelés pour leur service militaire, il fait tout pour les rejoindre et s’engage avec eux dans une troupe d’élite. Il n’aurait pu s’engager avec eux sans cacher son asthme à ses supérieurs. Mais au premier entrainement il fait une crise et se retrouve muté à Jéricho pour plusieurs mois. Nous sommes à la fin des années quatre-vingt-dix. Les accords d’Oslo sont en train de fissurer. Après quelques mois sans accros : Insouciance (inconscience), piscine et manches courtes, un officier se fait tuer juste à côté de lui par un résistant. Il demande sa mutation et se retrouve à organiser la sécurité d’une colonie israélienne en Cisjordanie. Même inconscience, même jeux décontractés entre soldats. Un jour qu’il attend un bus, un homme l’attrape par derrière et l’embrasse. Il décrit avoir ressenti ce geste comme celui d’un ami qui aurait voulu le surprendre. Dans les secondes qui suivent, l’homme actionne les explosifs qu’il porte sous ses vêtements. Après un temps indéfini, Omer se relève. La ferraille de son fusil explosé lui est entrée en plusieurs morceaux dans le dos et les bras. Il sent une odeur. Comme si quelque chose brulait. Il peine à se rendre compte qu’il s’agit de son uniforme. Il observe le corps du jeune homme estropié et s’allonge dans le sang et la chaire carbonisée pour éteindre le feu qui consume son uniforme. Il décrit le sifflement de la chaire et du sang au contact du feu. Lorsque l’armée arrive sur les lieux, il a perdu ses plaques d’identifications militaires que porte chaque soldat autour du cou. Les soldats sur place ont du mal à identifier à qui appartiennent les différents morceaux de corps humains dispersés et doutent de son identité jusqu’à ce qu’il parvienne à la prouver. A l’hôpital, il met plusieurs mois à retrouver l’ouïe et souffre de plusieurs crises de paranoïa.

Cette histoire est terrifiante.

Le jeune homme qui nous raconte ça, les avant bras scarifiés, n’est pas haineux. C’est un artiste qui nous ressemble et qui s’évertue à chercher une solution pacifiste au conflit. Nous discutons longuement et parvenons à un point où son trauma et la propagande israélienne qu’il subie depuis son plus jeune âge le pousse à nier la notion même de territoires occupés et la réalité de la colonisation. Nous bifurquons un temps et abordons la question de nos travaux artistiques respectifs pour revenir finalement sur le sujet. Pour lui et son épouse il est, par exemple, inimaginable que nous puissions en ce moment habiter à Bethléem. Pour eux, la Cisjordanie est un lieu habité seulement par des fous sanguinaires. Ils nous demandent plusieurs fois : « Vous habitez vraiment à Bethléem ? ». Ils n’y croient pas. Nous leur proposons de nous accompagner ce soir. Ils nous répondent que ce n’est pas possible, qu’ils s’y feraient tuer.

Je n’ai pas envie de les blâmer et nous reviendrons les rencontrer pour enregistrer leur témoignage. Mais ce soir en rentrant à Bethléem, nous n’avons rencontré aucun fou sanguinaire. Nous avons vu une file de quarante palestiniens au cheik-point attendant une autorisation israélienne pour rentrer chez eux. Nous sommes allés assister à une répétition de théâtre d’El Diyar Theater Danse. Nous nous sommes fait inviter à boire le thé par l’épouse de notre ami Abdel Fatah Abu Srour, directeur du Centre Culturel Al rowwad, lui-même en ce moment bloqué à la frontière jordanienne et qui nous met à disposition le rez-de-chaussée de sa maison pendant notre séjour. Nous avons rit avec son neveu trentenaire et commerçant en matériel électrique…

Combien faudra-t’il encore de jeunes gens manipulés estropiés ? Combien faudra-t’il encore de travailleurs parqués contrôlés tous les jours ? Combien de temps faudra-t’il encore attendre pour que nous décidions de faire définitivement la peau aux généraux de Tel Aviv, de Washington, de Paris ou d’ailleurs ? Criminels !

Emilien Urbach

Photo : Olivier Baudoin

Pour se renseigner sur les activités du Théâtre de la Liberté : http://www.thefreedomtheatre.org/

Pour se renseigner sur les activités d’Al Rowwad : http://alrowwad.virtualactivism.net/

Pour se renseigner sur le travail d’Omer : http://omer.arts-collective.com


Nouveaux enregistrements d'Emilie

Emilie nous fait part de ses expériences pendant notre séjour par le biais d'enregistrement sonores.
En voici une série :
Cliquez sur la flèche (play) des lecteurs juste en-dessous...




De Jenin à Bethléem - avant le départ de Lisie


Jour 6 – Check point

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De retour de Jenin vers Bethléem. Nous faisons une halte salutaire au Jérusalem Hôtel à Jérusalem. Nous prenons une table dans le jardin sous la tonnelle à côté de la fontaine aux poissons. On y boit des bières, de vrais cappuccinos et il ya des protections sur les lunettes des toilettes. Un paradis pour occidentaux. D’ailleurs c’est le point de départ d’un tour operator en car pour les territoires occupés et faire connaissance avec la Palestine.

Nous avons rendez-vous à Bethléem et le temps nous presse. Nous laissons Olivier à Jérusalem pour faire des photos.

Check point de Bethléem, les gens sortent et rentrent indifféremment par les deux tourniquets ouverts donc dans les 2 sens. Côté efficacité, on a vu mieux.

Dans la guérite, une jeune fille elle doit avoir 18 ans. Elle est menue, pas vraiment jolie, pas vraiment laide non plus, elle porte des lunettes, a les cheveux courts. Elle est très autoritaire. On dirait un petit garçon qui se donne des allures d’homme. Elle a l’air passablement agacée, je comprends son job est chiant comme la mort. Nous sommes quelques touristes dans la file. Elle nous dit de passer en coupant la file devant les palestiniens.

Emilien lui dit: “Let them pass and after we go”.

Un homme lui dit merci. Une des touristes est passée.

La jeune fille vérifie bien minutieusement, consciencieusement, les passeports, visas, permis, autorisations.

Dans l’autre sens, deux touristes occidentaux. Lui porte des dreds blondes sur des yeux bleus. Elle est grande et belle.

La jeune fille dans la guérite regarde, examine, scrute les passeports.

« Wait » Les deux touristes s’écartent de la file.

Un palestinien passe dans l’autre sens, il met sa main dans la machine et de l’autre main colle son laisser-passé sur la vitre.

La jeune fille ne le regarde pas.

Elle parle à la touriste. « There’s a problem with your visa. It’s not good. It’s finished the 22nd of july .

Yes, but we are the 19th. There’s 3 days left.

It’s not good.”

Elle se recroqueville tant sur ce passeport qu’elle pourrait entrer dedans.

Le palestinien a toujours sa main dans la machine et l’autre plaquant son laissé-passé sur la vitre. Il lui parle. Elle aboie « Talia ».

Cette machine est une machine à reconnaissance biométrique. En mettant sa main, l’identité s’affiche automatiquement sur l’écran de l’ordinateur avec l’autorisation de passer ou non. Si le palestinien a son papier mais que la machine dit non. C’est la machine qui a raison. Je me demande si ce système informatique est fiable à 100%.

La jeune fille demande à son voisin de guérite de confirmer la non-validité du visa qui expire dans 3 jours.

Il regarde : « Non, c’est bon.

Ce n’est pas bon. »

LA bestiole est obstinée. Le palestinien n’a pas changé de position. Il n’a pas le temps de lui dire quoi que ce soit. « Talia ».

Elle appelle par téléphone son supérieur. 2 minutes. Le palestinien n’a pas bougé.

Le supérieur a peut-être 20 ans. En le voyant, Emilien dit : « She did a mistake and she bloc all the line. »

C’est dit, avoué aux yeux de tous. Elle a fait une erreur.

En entrant dans la guérite, il attrape une télécommande. Oui, la clim’ est trop basse. Le palestinien passe enfin. Elle présente le visa à ce que je crois être un caporal. « C’est bon, laisse là passer ».

Elle a perdu la face ; Elle rend le passeport en aboyant Go.

Tous les jours passent des centaines de personnes par ces check point. Tous ces humains sont traités comme des données par des machines supervisées par des gamins pas encore sortis de l’adolescence et a qui ont a filé des M16 chargés.

On n’a pas autre chose à faire avec des gamins de 18 ans ?


Jour 6 –rencontre

A Bethléem, nous avons rencontré un groupe de danseurs. Cela fait un an et demi que le groupe est constitué. Ils sont jeunes, ils font également du théâtre. Ils sont tous amateurs et viennent s’entrainer presque tous les jours de 16 à 20h. Emilie et moi assistons à un cours. Ils sont plein d’envie, plein de vie. Ils sont rigoureux, reprennent les mouvements, cherchent à trouver le rythme. Tout ce fait dans la bonne humeur. Il y a autant de filles que de garçons.

Ils nous montrent un morceau du spectacle qu’ils ont joué récemment. Ils donnent beaucoup d’énergie, de joie. Je les trouve beaux. Nous parlons du projet, il y a de l’écoute de l’enthousiasme. Nous prenons des témoignages.

Un danseur nous dit : « I dance every day , because I feel free The occupation never destroy that.”

A ceux qui se demandent pourquoi danser, viola la réponse. Il n’ya pas ici le luxe du caprice d’artiste gâté. Danser ici c’est la vie.

Nous parlons avec une autre personne qui est danseuse elle aussi. Elle nous parle d’un spectacle sur le MUR qu’ils ont écrit et joué. Ils avaient commencé le spectacle en déchirant toute leur pièce d’identité. Non, ce n’était pas leur identité, ils ne se résument pas à la carte verte. Elle a beaucoup d’émotion lorsqu’elle en parle. Plus j’avance et plus je pense qu’il faut laisser une grande place aux artistes palestiniens lors de l’écriture du projet. Pour qu’ils puissent danser un espace libre.

C’est bon de voir danser.

Pour se renseigner sur les activités de Diyar Theater Dance : http://diyar.ps

Jour 6 – Départ


Je pars demain. Je ne suis resté que 7 jours dans ce(s) pays. Certains font un monde en si peu de temps. Moi, j’ai juste croisé des regards, des sourires, des rêves, des larmes, des fiertés, de belles humanités.

7 jours me paraissent peu comme tombée de l’avion hier et une éternité, avec l’impression d’avoir débarqué il y a des années.

Je regarde les paysages avec encore plus d’acuité. Sur la route de Ramallah une école pour non-voyant. Je ne sais pas se c’est une école qui apprend à ouvrir les yeux. Je me dis que si c’est le cas il en faudrait plus à travers le monde.

A côté du check point de Ramallah, il y a une toile tendue, un aspirateur et des jerricans d’eau. C’est une station de lavage pour auto. S’il y a trop d’attente au check point, tu peux au moins faire laver ta voiture.

Des porteurs de thé dans les villes avec des tas de fleurs artificielles sur la théière géante qui doit forcément porter un nom et que je ne connais pas.

Les gamins qui vendent 1 shekel des cornets de bonbons.

Les boutiques de lingerie coquine qui côtoient les boutiques de voiles et manteaux musulmans.

Les fallafels, kebab, houmous que l’on a mangé à chaque repas.

Les grillages, les barreaux, les barbelés.

Un seul voile intégral.

Des voitures cabossées.

Des taxis jaunes communs ou individuels qui filent à toutes allures.

Les auto-stop payants, des particuliers qui arrondissent leur fin de mois en faisant le taxi improvisé.

Des soldats aux visages d’anges et aux M16 chargés.

Les souks.

La chaleur des gens.

Je prends tout ça avec moi.

Je m’envole dans quelques heures pour Manchester, je retrouve l’Europe avec ses codes.

Je laisse « mon groupe » continuer l’aventure, ils me raconteront.

Jusqu’au prochain voyage. On m’a dit que c’est un pays qui colle à la peau. C’est vrai.

Ce pays me colle déjà à l’âme.

Lisie Philip
Photos Olivier Baudoin