Difficile réveil à Bethléem

photo : Emilie Pirdas


Ce matin, réveil difficile à 5h45, quelques étirements.

Emilie n’est pas dans son lit, soit elle est déjà levé soit j’ai ronflé ! (Ce qui m’arrive extrêmement rarement je tiens à le préciser).

En fait, elle s’est endormie dans le salon car une insomnie lui est tombée dessus.

On est en retard, je réveille tout le monde.

Départ 7h30. On est vraiment en retard. On veut se rendre à Bil’in à côté de Ramallah rencontrer un groupe de manifestants pacifistes et non-violents qui utilisent le happening comme acte revendicatif.

Tous les vendredis à 12h30 il ya une marche jusqu’au MUR.

On ne sait pas combien de temps va prendre le voyage. C’est à 65km.

8h05. Nous sommes au check point de Bethléem. Celui à côté du Tombeau de Rachel. Nous entrons dans le corridor de grillage et de barreaux à ciel ouvert. Il ya une trentaine de personnes devant nous. Ça n’avance pas. Je regarde les barbelés au-dessus de ma tête. Je regarde les gens, beaucoup d’hommes. Des vieux et des quarantenaires principalement.

8h15. Ça n’avance toujours pas et derrière nous il y a de plus en plus de gens. Je m’amuse à prendre le corridor à la mesure de mon corps, la largeur est égale à mes bras tendus coudes pliés à 120°. Egal aussi à ma jambe tendue en seconde 90° pointe tendue. La largeur entre deux barreaux me permet de passer mon épaule jusqu’au début de l’omoplate. La largeur d’un barreau est égale à la largeur à la première phalange de mon index.

8h30. Ça n’avance toujours pas.

Derrière nous, la file grandit. On a moins de place. Ça parle dans tous les sens, il y a plus de femmes et d’enfants.

Un homme devant nous dit que ça peut durer 2 ou 3h.

En fait le check point n’est pas ouvert. On ne sait pas pourquoi. Il y a une jeune fille soldat dans la guérite. Mais le check point est fermé. On entend de l’hébreu dans les haut-parleurs. Le volume est très élevé.

8h45. Les gens commencent à s’agiter. Le soleil attend avec nous. Il y a de moins en moins de place. Il n’y a rien pour s’asseoir. Un vieux coince sa canne dans l’angle du grillage et s’improvise une station assise. Le fait d’être dans ce corridor compressée aux autres, au soleil, de ne pas savoir pourquoi ça n’avance – non, la situation n’avance pas – me donne l’impression d’être un chemin d’abattoir, un chemin des cochons avec des trappes anti-recul. Je connais des abattoirs pour en avoir visité et y avoir fait des recherches chorégraphiques. Je les ai déjà mesurés avec mon corps.

Ma respiration s’accélère, se bloque par moment. J’ai l’impression que mon corps change de consistance, se fragilise. Je commence à trembler. Je rentre à l’intérieur de moi-même, me rassure en me disant que tout à une fin, je m’imagine allongée sur de l’herbe fraîche. Mais le brouhaha et les voix du haut-parleur me ramène au présent et me force à prendre conscience de là ou je suis.

Je demande à olivier si on peut faire en sorte de rester groupé. Il met sa main sur mon épaule et cela me relie à un monde plus humain. Ça n’avance toujours pas. La jeune fille soldat est toujours dans sa guérite. Elle se recoiffe.

9h10. Deux sœurs catholiques se fraient un chemin entre les gens jusqu’au début de la file pour essayer de faire ouvrir le check point, elles sont suivie par 5 ou 6 personnes qui gagner des places pour aller plus vite. Mais aller plus vite quand on n’a pas le contrôle de son temps est une amère illusion.

9h20. Emilien est visible par la jeune fille soldat et montre sa carte de presse. Si ça peut faire bouger les choses tout du moins la file. Il a raison d’essayer. Elle téléphone. Il fait chaud.

Les sœurs rebroussent chemin et nous prennent à parti :

“Europeans and americans, you have to do something. Here, there’s no rules”.

Et nous voila renvoyés à notre impuissance. Nous sommes bloqués dans la file, au soleil, compressés les uns aux autres comme les autres.

Une femme avec un bébé et deux enfants se faufile et arrive à notre hauteur. De toute façon, devant nous c’est si dense qu’on ne peut pas aller plus loin. Le bébé est dans ses bras, il a 40 jours. Il dort. Cette femme nous explique que sa mère est à l’hôpital et qu’elle va la voir. Son fils de 2 ans pleure. Emilie propose un biscuit, sa mère dit oui. Il mange et arrête de pleurer.

Ça n’avance pas. Ça commence à crier, à s’énerver, à gueuler contre les caméras.

9h40. Dans les haut-parleurs ça crie Yalla, Yalla puis d’autres choses que je ne comprend pas. Ça va s’ouvrir.

9h45. Un homme palestinien nous dit : You want suffering with us ?

Avec nos appareils photo et caméras, je comprends safary…

Suffering

No I don’t want suffering. I want to tell to the others. The best way is not suffering.

Yes, it’s good. Please tell.

Le tourniquet anti-retour de 2m50 de haut est enfin en marche. Tout le monde veut passer en premier. C’est la bousculade. Le problème, c’est qu’on ne peut passer à plus d’un à la fois. Les gens essayent de passer deux par deux, aller plus vite pour reprendre peut-être un peu de contrôle sur leurs mouvements. Mais le tourniquet se bloque.

Lumière verte, tu peux passer. Lumière rouge tu ne peux pas. C’est simple comme une expérience de laboratoire. Deux jeunes hommes se dévouent pour faire passer les gens un par un. On accède enfin au tourniquet, on passe devant la jeune fille soldat en levant le passeport français, pas besoin de l’ouvrir. Le passage est rapide.

Nous arrivons dans un hangar clair et climatisé. Les gens s’agglutinent devant les trois entrées. Au-dessus de nos têtes trois passerelles, un soldat d’environ 35ans nous surplombe. Il nous demande de ranger nos caméras et appareil photo, nous ne comprenons pas ce qu’il nous demande. Il est nerveux, parle à son talkie-walkie. Un autre soldat vient vers nous il est à notre hauteur. Il nous redemande de ranger nos appareil. WHY ? Because it’s a military area.

Emilie va vers lui, demande son nom, son âge. Il a l’air jeune, son visage est doux, il est brun aux yeux noirs le teint mat assorti à son M16 chargé.

On se met dans un des trois groupes. Ça bouscule, ça insulte. Qui sera le premier devant le tourniquet anti-retour.

On rencontre un colombien et une russe en vacances. Il nous pose plein de questions de touriste comme on s’en pose entre touriste : Vous êtes d’où ? Vous êtes arrivés quand ? Où allez-vous ?

Emilie et moi restons évasives, ces questions ressemblent aussi aux questions des check point. Dans un moment déshumanisant, on devient méfiant.

On rencontre également une vieille dame avec un chapeau. Elle est originaire du Pays de Galles et cela fait 11ans qu’elle vit à Bethléem. Elle est volontaire 3 jours par semaine dans un orphelinat. Elle porte un pace maker et cela ne lui confère aucun droit supplémentaire dans la file. D’ailleurs elle refuse qu’on la laisse passer mais ne veut pas qu’on lui passe devant. Elle dit que c’est un manque de respect pour l’autre. Le soldat est sur la passerelle au-dessus de nos têtes.

Nous restons dans notre file, pendant ce temps un des deux autres tourniquets a fermé.

On renvoi la file du milieu vers la file de droite. Puis plus tard toute la file de droite vers le milieu.

Dans notre file, ça joue des coudes, des gens s’incrustent, nous regarde. Je sens ce regard qui nous accuse en tant qu’Européens de prendre leur place dans cette putain de file.

Le tourniquet anti-retour est bloqué on ne peut passer que un par un.

Lumière verte tu passes, Lumière rouge tu passes pas.

De toute façon, il n’ y a que deux passages à chaque fois.

Dans la file, je me retrouve en face d’un des organisateurs improvisés de file.

En riant il me dit : Good trip, hein ?

- It’s not a good flight company

- But there’s no airport here. We can’t go. Toujours dans un rire.

Moi, j’ai la gorge qui se serre et j’avale difficilement ma salive.

Lumière verte. La vieille dame passe enfin le tourniquet. Elle est juste devant nous. Elle pose son sac dans la machine à rayon X. Avec son pace maker elle ne peut pas passer le portique de sécurité. On attend qu’un soldat vienne éteindre le portique. Il arrive, tourne un bouton avec une clef spéciale et éteint la machine. C’est très simple. J’ai toujours entendu dire : les clefs, c’est le pouvoir.

La vieille dame passe. Le soldat rallume la machine.

Emilie et moi passons le tourniquet, posons nos sacs sur le tapis roulant de la machine, reprenons nos sacs. On montre de loin, en vitesse nos passeports. Pas besoin de les ouvrir ou de les vérifier.

10h25. Nous sommes sortis du check point et attendons Emilien et Olivier. Je vois passer un vieil homme qui tient son pantalon, sa ceinture et ses chaussures à la main, la canne sous le bras. Il a une démarche cocasse, mais je n’ai pas envie de sourire.

2h20 pour faire 50 mètres.

Les garçons arrivent, nous pouvons prendre un taxi pour Bill’in.

Lisie Philip

3 commentaires:

Unknown a dit…

merci,de dire simplement.

Unknown a dit…

Que dire de plus ... merci pour ce récit.. je crois pas qu'on puisse vraiment imaginer ce que c 'est !
Prenez soin de vous.. (et des autres)
Une bise
Flo jb

Unknown a dit…

C'est vraiment ça!!!!!!helas ...Dans notre file, ça joue des coudes, des gens s’incrustent, nous regarde. Je sens ce regard qui nous accuse en tant qu’Européens de prendre leur place dans cette putain de file.

Le tourniquet anti-retour est bloqué on ne peut passer que un par un.

Lumière verte tu passes, Lumière rouge tu passes pas.

De toute façon, il n’ y a que deux passages à chaque fois.dans ses putains de tourniquets...ils ont embetés ma tante de 77 ans au controle du coté israeliens ...de toute façon ça ne tient qu' a qu'une etincelle...