incursion au coeur de la matière

24.07.10

Bientôt la fin du séjour.

Le temps des questions est là. Il y a les questions inutiles et les questions nécessaires. J’ai du mal à faire le tri. C’est difficile.

Un journaliste écrivait à propos d’un autre de mes projets d’écriture : « La démarche n’est pas politique. C’est une incursion au cœur de la matière ». J’aime cette idée. Ici, en Palestine, avoir une démarche simplement politique reviendrait à m’engager dans un mouvement de solidarité sans me poser plus de questions. Je l’ai fait. Je continue de la faire. S’immiscer « au cœur de la matière » entraine une plus-value de questions.

Avant-hier soir, avec Olivier et Emilie, nous avons eu une longue discussion. Peut-être de celles que Mahmoud Darwish nommait « les conversations brillantes ». J’ai l’impression de me poser les mêmes questions qu’il y a huit ans, au retour de notre premier séjour. C’est bien. La présence d’Olivier et Lisie aura permis cela.

En France, il y a une idée commune liée au postulat pacifiste. La guerre serait le fruit du fanatisme conjugué d’extrémistes agissant tant en Israël qu’en Palestine. Il devrait suffire de considérer que des deux côté des gens souffrent et que « la guerre c’est pas bien » pour qu’un conflit de plus de 60 ans d’âge finisse enfin. La réalité est bien sûr différente. Si je dis maintenant, il y a un peuple qui souffre et une armée qui opprime, on dira que je suis partisan, que je ne reconnais pas l’humanité de celui que je juge comme oppresseur. Mais il faut vivre ce que l’on vit ici pour commencer à comprendre.

Le nœud est là. Comment prendre en compte l’état d’esprit des publics occidentaux lors de l’écriture de notre pièce de théâtre pour qu’ils sentent, comprennent, imaginent la complexité de la réalité ici ?

Le spectacle « Témoignages, compte-rendu théâtral de séjours en Palestine » tourne en France en grande partie grâce aux réseaux de la solidarité internationale : Association France-palestine Solidarité, CCiPPP, PCF… Et donc, lors de ses représentations nous jouons devant des personnes convaincues de l’injustice qui se trame ici. Comment toucher un public plus large ; un simple public de théâtre ; en faisant en sorte qu’il ne puisse se dire : « Ouais, c’est touchant mais c’est sans doute orienté, voir même exagéré » ?

La réponse pourrait être de créer quelque chose qui s’appuie sur l’idée que les peuples israéliens et palestiniens souffrent pareillement de l’absurdité de la situation et que « la guerre c’est mal ». Aujourd’hui, nous pourrions sans trop de difficultés parvenir à concevoir une forme artistique qui réunisse des artistes palestiniens et israéliens. Ainsi, le message serait parfait pour la « bien-pensance » occidentale. Mais nous ne ferions qu’éviter l’affrontement avec la complexité de la réalité.

Ce dont on se rend compte ici, c’est que ce serait beaucoup plus simple pour un artiste israélien de faire un pas dans ce sens que pour un artiste palestinien. Ce serait même « sexy », comme on dit à Paris. Pour les artistes palestiniens que nous rencontrons la question est embarrassante, voir même déplacée. Et pour nous ce serait tellement simple. De plus, les démarches des artistes israéliens sont plus proches de nos pratiques occidentales : « écritures du réel », « nouvelles technologies », « utilisations de médias en temps réel »… Alors qu’en Palestine nous assistons le plus souvent à des pratiques folkloriques, parfois au summum du kitch. Alors, si on ne fait que survoler la question la « bien-pensance » occidentale prend le dessus.

Nous voulons faire autre chose. Nous avons deux objectifs. A courts termes, nous souhaitons utiliser la danse et le théâtre comme médias qui par l’intermédiaire de nouvelles technologies transcendent le mur et permettent une communication entre chaque côté. De chaque côté du mur il y a des palestiniens. Le mur de béton ne sépare pas Israël et la Palestine. Il scinde la Palestine. Israël n’est pas de l’autre côté du mur. Israël construit le mur.

A plus longs termes, nous souhaitons écrire un spectacle dédié à l’espace public. Celui-ci doit rendre compte de témoignages récoltés sur place et de notre vécu : Donner à voir les différentes strates qui constituent le mur. La strate de béton, la strate administrative, la strate humaine, religieuse, culturelle, les strates stigmatisantes, médiatiques…

Quand on se trouve à l’intérieur des « prison-villes », on peut voir dessinées et écrites sur le mur toute sorte de choses. Des messages de paix, des messages de haine, de vrais actes artistiques et des gribouillages. Le plus souvent ces « graffitis » sont le fait d’étrangers. Ce mur doit-il devenir une galerie d’art internationale à ciel ouvert ?

Bah ! Je tourne en rond. Il faut que tout ça décante.

J’ai envie de me poser, de me reposer. Le lieu n’est pas propice. J’ai envie de me poser et de me laisser aller à la construction d’images, de scènes, de modes de projection, de types de rapport aux publics. J’ai envie, mais ici je n’y parviens pas.

Hier soir, nous avons assisté à une représentation du groupe de danse folklorique El Funoun, à Ramallah. Plus d’un millier de personnes réunies pour y assister. Il s’agissait en grande partie de la bourgeoisie palestinienne. A l’entrée, des hôtesses d’accueil distribuaient des documents édités par une association de défense des droits de l’homme à propos des prisonniers politiques palestiniens en Israël.

Les propositions dansées pouvaient s’apparenter à des fresques dignes des plus grands moments du « réalisme socialiste » en URSS. Des costumes folkloriques. Des torses bombés. Des fusils en toc. Des musiques pleines de basses et de réverb. Les quelques propositions plus contemporaines avaient du mal à se défaire de la lourdeur d’un ensemble sur-joué.

Tout ça n’empêchait pas d’entrevoir les qualités techniques de la plupart des danseurs et surtout donnait l’occasion d’exister à un réel temps de communion. Le public était en liesse. Un vrai beau contraste avec l’ambiance du quotidien en territoires occupés.

En rentrant, nous avons passé le cheik point de Kalandia. L’un des plus fameux en Palestine. C’est la première fois que je le passais à pieds depuis plusieurs années. Il a subi les mêmes transformations que celui de Bethléem. Le béton et la rationalisation ont remplacé les fils barbelés et les taules. Nous nous retrouvons dans un des multiples corridors qui le constituent. Parqués avec une cinquantaine de palestiniens. Nous passons trois par trois en montrant nos passeports à des soldats au féminin.

Une des palestinienne qui nous accompagne à un passeport américain. Aux États-Unis, elle fait des études en commerce international. Après le cheik point, elle nous dégote un taxi trois fois moins cher que si nous nous étions débrouillés seuls. Merci.

En rentrant nous longeons le mur qui emprisonne la commune d’Al-Ram. Je pense à notre ami Suheil Abu Saliba, qui nous avait accueillis en 2002 et qui vit à l’intérieur. Je n’irai pas l’embrasser cette année, faute de temps. Salut à toi l’ami !

Emilien Urbach

Photo : O. Baudoin

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