Arrivée en terre ceinte.

photo : Olivier Baudoin


13.07.2010

14.07.2010

La journée aura cette fois durée plus de 36 heures. Après les derniers préparatifs, notre avion a décollé de Nice vers 19h30 pour une arrivée sans accro vers 3h30 à Tel-aviv. Au petit matin, le taxi nous déposait à la Porte de Damas pour une nouvelle entrée dans la vieille ville de Jérusalem.

Une heure ou deux de sommeil. Mise au point technique. Tentative de prise de contact avec des personnes sur place et visite de quelques lieux sacrés.

Jérusalem, un berceau de civilisations posé trop près du mur.

J’ai mes repères dans ce quartier de la ville ; facile de conduire les copains du St Sépulcre au mur des lamentations, avant de tenter en vain une visite de l’esplanade des Mosquées. Avoir ces repères ne permet pourtant pas de contenir ses émotions. La fatigue jouant aussi son rôle, les sons, les gens, les pierres, les odeurs, la foi des autres… Tout ça vient me serrer la gorge. Je ne peux pas dire s’il s’agit de peine, de peur, de colère ou de joie, d’empathie ou de complaisance. Les gens me touchent. Ceux que j’ai déjà rencontré et qui m’habitent se réveillent en moi et commencent à me transformer encore.

La présence d’Olivier et Lisie, en plus d’Emilie qui m’accompagne depuis le début de mes pérégrinations à la rencontre des autres et du monde, agit en moi comme une respiration. L’inspiration qui vient après une expiration lente et poussée. Comme si les toutes premières questions m’étaient reposées.

Les gens que j’ai vu agenouillés devant la pierre qui a reçu le corps de Jésus descendu de sa croix, ceux que j’ai vu la tête enfouie dans leur bible ou dans la pierre du mur du temple (de Salomon), celui qui priait seul en direction du tombeau de son prophète avant de passer par le corridor qui fait office d’entrée à sa prison à ciel ouvert… tous ceux là m’ont touché jusqu’aux larmes que j’ai retenues et qui sont venues serrer mes dents et ma gorge. Tous ceux là m’ont touché sans distinction.

Et puis, nous avons passé le check-point de Bethléem. L’humiliation quotidienne a été rationalisée, industrialisée, aseptisée, plus froide encore que le fer des fils barbelés et des blocs de bétons qui le matérialisaient il y a à peine cinq ans. Le mur défigure la ville et s’étend sinueux avec une logique difficile à comprendre. Une courte visite dans le camp de réfugiés d’Aïda et nos amis sur place nous conduisent à l’endroit qui pour quelques jours sera le logis de notre équipe, ce soir encore, fébrile.

photo : Olivier Baudoin


15.07.2010

Levé matinal mais reposé. Matinée à tenter de joindre les personnes que nous cherchons à rencontrer. Succès approximatif, mais qui nous permet de partir à la rencontre de George, l’administrateur de la Cie de théâtre El Harah à Beit Jala.

En arrivant, le premier que je vois et dans les bras massifs duquel je me retrouve, ce n’est pas George mais Issam. Un grand gaillard digne des descriptions faites dans le Deutéronome numéro 12 des habitants de Judée au moment ou Moïse invite les juifs en exode à « entrer dans un beau pays, pays de courts d’eau, pays de figuiers et d’oliviers… ». Notre amitié s’est nouée en 2003, lorsque nous accueillions pour la première fois une compagnie de théâtre palestinienne à Nice. Je tourne la tête pour voir arriver George. Nous tentons une explication rapide des raisons de notre présence ici et commençons à envisager les prémices d’une collaboration.

Raeda, metteur en scène de la compagnie et amie depuis la même époque qu’Issam, appelle sur mon téléphone et ne tarde pas à nous rejoindre. Petite mise au point sur nos actualités familiales respectives et nous voilà parti dans des discussions à propos de la captation de témoignages et leur restitution au théâtre.

Après son départ, nous passons deux heures à travailler à l’ouverture d’une fenêtre électronique sur internet d’où le reste monde pourra observer notre parcours en terre ceinte.

Alors que le soleil s’éloignait de plus en plus de son zénith, nous partons arpentés les rues peuplées du camp de réfugiés d’Aïda. Nous nous rapprochons du mur. Colosse de béton. Les habitants du camp ont construit un théâtre en plein air tout contre lui. L’endroit semble tout indiqué pour la réalisation de notre performance au printemps prochain. Olivier tente de nous localiser par satellite afin que nous retrouvions l’endroit exact de l’autre côté du mur. Nous sommes à 750 mètres d’altitudes. De ce point de vue, nous observons le parcours irrationnel du mur au nord-est de Bethléem. Emilie pleure. Nous sortons nos appareils photographiques et nos caméscopes comme s’ils pouvaient nous protéger de visions trop difficiles à soutenir à l’œil nu.

Nous décidons de partir à pied revoir les photographies que l’artiste JR à encoller il y a deux ans sur le mur. Nous n’y parvenons pas. La nuit est déjà trop présente.

Nous nous rendons alors au centre de Bethléem. Depuis la rue en contrebas de l’Eglise de la nativité nous observons une colonie israélienne construite sur la colline en face. Je creuse dans mon cerveau pour me souvenir de la première fois où je l’ai vue. C’était un complexe d’une petite quinzaine d’immeubles blancs bien rangés. Aujourd’hui, nous regardons une mégapole qui recouvre entièrement la colline et qui semble ne pas vouloir cesser de s’épandre au vue des différentes constructions en court.

Il nous a suffit de marcher deux cent mètres pour retrouver Adnan. Un ami commerçant en souvenirs. Sa boutique est remplie d’objets de bois d’olivier parmi lesquels n’importe quel pratiquant de n’importe quelle religion y trouverait son compte. Au bout d’une heure de conversation qui ; la règle nous a tout de suite était rappelée ; ne devait toucher ni à la politique ni à la religion, nous sommes sommés de monter chez lui où son épouse et son fils ont préparé quelques grillades et salades. Nous mangeons, rions, nous retrouvons pour de courtes apartés dans lesquels Adnan me fait part, tour à tour, des difficultés de gestion d’un commerce en terre ceinte, des difficultés à élever des enfants ; cinq ; dans cette situation, de la maladie de son épouse…

Il est près de deux heures du matin. Adnan nous reconduit au logis en nous faisant promettre de nous revoir la semaine prochaine.

Difficile de trouver le sommeil. La journée résonne encore. Toutes les personnes retrouvées depuis hier en commençant hier par le propriétaire de l’auberge de jeunesse, à Jérusalem, où j’ai réussi à dormir deux heures , en passant par les gens d’El Harah, les visages familiers qui habitent les rues du camp d’Aïda, Adnan et sa famille… Et le colosse de béton ! Tous me disent de fermer les yeux et de dormir.

Difficile « Bonne nuit ».

Emilien Urbach

Pour se renseigner sur les activités du théâtre El Harah : http://www.alharah.org/

1 commentaire:

Unknown a dit…

salut les copains...
un plaisir de vous lire....
embrasse pour moi raeda et un gros bisous à Issammmmmmm.